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La mauvaise gouvernance en Algérie, entretien avec le Pr. Hocine Khelfaoui

August 30, 2012 Gouvernance No Comments

Si l’on doit retenir ces mots ou cette expression de « bonne gouvernance », il faut la relier à la décentralisation et à la démocratisation. La gouvernance, qu’elle soit comprise au sens politique ou managériale, doit s’entendre non pas au sens de « pouvoir » ou d’« autorité »,  mais de responsabilité à assumer et surtout à rendre compte, qu’elle s’exerce au plus haut niveau de l’État ou dans une simple structure ou organisation locale.  Il convient même d’en finir avec le sens du mot « Pouvoir »,  « Es-Solta » comme on dit chez nous, synonyme chez les algériens de l’arbitraire absolu. Si l’on doit garder cette terminologie, détenir le Pouvoir, l’autorité, c’est d’abord l’exercer sur soi-même et cela signifie alors l’engagement, la responsabilité et l’exigence d’avoir à rendre des comptes…

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La mauvaise gouvernance en Algérie :

entretien avec le Pr. Hocine Khelfaoui

 

Cet entretien s’inscrit dans le cadre d’une série de rencontres qui seront réalisées avec des professeurs, chercheurs et spécialistes algériens sur le mode de gouvernance en Algérie : “Échecs et Réussites”. L’équipe ” 1 2 3 Viva Algeria, le projet” a le plasir de vous présenter le premier numéro de cette série. En dépit de son agenda très chargé, M. Hocine Khelfaoui (voir CV simplifié), professeur au Centre Interuniversitaire de Recherche sur la Science et Technologie (CIRST, Université du Québec à Montréal), a eu la gentillesse de nous recevoir à son bureau pour nous accorder cet entretien fort intéressant. Bonne lecture…

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La rédaction : 

Quel est votre point de vue en ce qui concerne la gouvernance ?

Pr. Hocine Khelfaoui :

Si l’on doit retenir ces mots ou cette expression de « bonne gouvernance », il faut la relier à la décentralisation et à la démocratisation. La gouvernance, qu’elle soit comprise au sens politique ou managériale, doit s’entendre non pas au sens de « pouvoir » ou d’« autorité »,  mais de responsabilité à assumer et surtout à rendre compte, qu’elle s’exerce au plus haut niveau de l’État ou dans une simple structure ou organisation locale.  Il convient même d’en finir avec le sens du mot « Pouvoir »,  « Es-Solta » comme on dit chez nous, synonyme chez les algériens de l’arbitraire absolu. Si l’on doit garder cette terminologie, détenir le Pouvoir, l’autorité, c’est d’abord l’exercer sur soi-même et cela signifie alors l’engagement, la responsabilité et l’exigence d’avoir à rendre des comptes.

C’est la raison pour laquelle, avant de définir une politique de développement, de sortie de crise, il est nécessaire d’en finir d’abord avec les régimes autoritaires qui,  même lorsqu’ils n’osent pas réprimer sauvagement, font la sourde oreille aux difficultés de la population, ou encore, font comme si ces difficultés étaient indépendantes de leur volonté ou ne relevaient pas de leur responsabilité.
Gérer, c’est quoi de nos jours, sans vouloir simplifier les choses?  C’est promouvoir la libre circulation de l’information, pas celle d’Internet bien sûr, mais une information objective et vérifiée, dont l’analyse pourrait conduire au savoir, à des savoirs compétitifs,  car l’information en elle-même n’est pas savoir, loin de là. Une des fonctions essentielles des gestionnaires, et que l’État doit pratiquer et promouvoir, c’est de favoriser la circulation de l’information et des idées d’une catégorie sociale à une autre, d’un groupe à un autre, bref au sein de la société…

Promouvoir une société des savoirs, la seule qui garantisse de nos jours l’épanouissement économique et social, c’est briser le monopole du savoir par quelques individus ou groupuscules fermés. Car, à défaut de débats ouverts et sans cesse élargis, une telle situation conduit au monopole et à la stagnation du savoir et donc de la science et des technologies.

La rédaction :

Pouvez-vous nous parler des raisons objectives de cette mauvaise gouvernance ?

Pr. Hocine Khelfaoui :

Ce qu’on appelle la « mauvaise gouvernance » est souvent associé à l’incompétence. Personnellement, je ne crois pas beaucoup à ce type de lien, en tout cas de se limiter à cette relation entre « mauvaise gouvernance » et « incompétence ». Ce qui fait réellement défaut, c’est la volonté de servir efficacement son pays, à travers l’État, à travers une entreprise ou une administration quelconque, c’est à dire d’assumer avec un sens de la responsabilité sa mission sociale.

Cela nous renvoie à la notion d’engagement. Prenons un exemple : la révolution algérienne a été bien mieux gérée et conduite, malgré des erreurs et des partis pris, que ne l’est le pays après l’indépendance, cinquante ans plus tard. Pourquoi ? Est-ce que nos parents et les dirigeants qui ont assumé et conduit cette révolution étaient mieux instruits ? Mieux scolarisés? On sait que rares parmi eux étaient ceux qui ont abordé l’université et ces derniers se comptaient sur les doigts d’une seule main.

Ce n’est pas pour négliger l’éducation, loin de là. C’est pour dire que de nos jours, ce n’est pas tant un problème de compétence ou de mauvaise gouvernance comme on dit, même si ces qualités sont nécessaires, mais d’abord d’engagement social et de volonté politique.

L’échec est souvent lié à ce qu’on appelle la « mauvaise gouvernance », donc à l’incompétence. Certes, mais l’incompétence n’est ni une fatalité, ni un problème insoluble. Dans notre pays, l’incompétence vient de l’impunité, et l’impunité vient de la soumission de ceux qui sont désignés comme responsables des différentes organisations, y compris au plus haut niveau de l’État. Soumission envers qui? Envers les vrais détenteurs du pouvoir, un pouvoir souvent occulte et au dessus de tout contrôle, à l’exception peut-être de celui des puissances étrangères dominantes.

La rédaction :

Selon vous quel est le secteur le plus affecté des conséquences de la mauvaise gouvernance ?

Pr. Hocine Khelfaoui :

Je pense au secteur éducatif. Pour une raison bien simple : plus que l’économie ou tout autre secteur, c’est l’éducation qui est le moteur et la condition essentielle du développement. Sans une éducation adéquate et performante, pas de secteurs, économique, culturel ou artistique, qui s’épanouissent réellement.

Or, un des effets, selon moi de loin le plus néfaste pour notre société, est la dévalorisation de l’éducation et de la recherche scientifique. C’est d’autant plus regrettable que le peuple algérien, rappelons-nous, a immensément investi, au lendemain de l’indépendance, matériellement et sentimentalement, dans l’acte éducatif, pensant que l’accès au savoir est la seule garanti du succès. Pour tous, l’éducation se présentait comme l’ascenseur social par excellence, qui permet à chacun de sortir de la misère, voire d’accéder au sommet de l’État.

L’expérience d’industrialisation des années 1970, avec tous les efforts et la bonne volonté de ses animateurs,  a montré, outre le sabotage politique dont elle a été la cible, les limites d’une telle démarche, celles d’être basée essentiellement sur l’importation. La première leçon à retenir de cette expérience est que l’accès aux technologies importées n’en assure pas une appropriation et une maîtrise sociale, et se limite au mieux à l’utilisation passive d’objets importés. Qu’elles soient publiques ou privées, les entreprises se cantonnent toujours, depuis maintenant 50 ans, au rôle d’utilisatrices passives de technologies importées.
C’est pourquoi, le plus difficile à surmonter, ce n’est pas tant la relance de l’économie, mais l’éducation et la recherche scientifique, qui mettent en place les conditions de renouvellement scientifiques et technologiques, qui vont bien entendu de pair avec le renouvellement social et politique. Pour paraphraser Castells, derrière la puissance instrumentale de la technologie, il y a, et c’est ce qui compte le plus, les formes sociales de son utilisation, je dirai de son appropriation sociale.

Pour l’heure, tout indique que l’Algérie va encore rater les immenses opportunités de développement qu’offre l’économie fondée sur le savoir, tant que le système éducatif et universitaire n’est pas remis en bonnes conditions de fonctionnement.

Pourtant, l’Algérie, comme tous les autres pays, a seulement besoin de conditions (économiquement quasi gratuites) favorables à la créativité, cette créativité qu’aucune société ne possède en soi plus qu’une autre.  Mais le succès dans ce domaine présuppose une remise en cause totale du système de pouvoir et des rapports de force à tous les niveaux de la société.

La rédaction :

Merci professeur de nous avoir accordé cet entretien riche et fort intéressant !

Entretien réalisé par Ahmed Mahidjiba le 25 août 2012

 

Note : Une version vidéo sous forme d’un grand reportage sera bientôt disponible.

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